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Les histoires d’un curieux Pélican : de l’hôpital à l’hôtel

Le 19 juin 2024 par Lara Ketterer

Quand un drôle de volatile se met à converser avec un arbre centenaire, les échanges ne manquent pas de piquant. surtout si le second est un cèdre Et l’autre un Pélican qui n’a pas sa langue dans la poche - enfin, si, techniquement parlant -, et que tous deux décident d’espionner les visiteurs de leur hôtel ! Indiscrétions…

Facade Pélican - Le Cedre
Façade du Pélican aujourd'hui et son cèdre centenaire © Matthieu Cellard

Le Pélican :  Dis, le Cèdre, tu sens cette odeur de pain ?
Le Cèdre :  De pin ? Bah, ça doit venir de moi… Je n’y peux rien…
– Non, je ne mange pas de ce pin-là ! Je te parle de celui sorti du four, en bas ?
– Ah oui, maintenant que tu me le dis, je dois reconnaître qu’il me chatouille les épines tous les matins avec ses effluves. A l’aube, quand tu ronfles encore, et que j’aperçois Vincent et Théo se faufilant sous mes branches, je sais que ça augure d’effluves gourmandes de pains croustillants et de brioches fondantes…
– Eh, je ne ronfle pas d’abord ! Et toi, pendant que TU végètes, je pars faire du repérage, monsieur. Et figure-toi que j’ai pu remonter la filière. Bon, pas très loin à vrai dire. Tu savais que la farine vient de chez Métral, à Saint-Pierre-en-Faucigny ? Une minoterie qui source ses blés en région Rhône-Alpes et principalement en Savoie ? Et que Vincent et Théo n’utilisent quasiment pas de levure et préfèrent le levain fait maison ? Ça donne ce bon goût au pain tout en le rendant beaucoup plus digeste et aérien, parole de chef boulanger avec 25 ans d’expérience !
– Ce n’est pas pour rien qu’on l’a appelée Ô Bon Pain, notre boulangerie ! Et en plus, la baguette et le pavé de campagne, avec cette recette, vont durer plus longtemps, c’est malin !
– Une vraie boulangerie dans un hôtel 4 étoiles, et ouverte à tous, tous les jours, c’est pas commun !! Ça nous change du pain industriel qu’on nous servait, ici même, du temps de l’hôpital…
– Pire encore : celui des tout premiers hôpitaux d’Annecy, tu te souviens ?
– Et comment, je me souviens, je me suis cassé le bec plus d’une fois dessus !
– A ce propos, tu sais que tout à l’heure, j’ai surpris une conversation d’une journaliste et d’un historien, là, juste sur mes racines. Ils étaient attablés en terrasse, avec vue sur le lac… Je n’ai pas pu m’empêcher de tendre mes branches pour écouter.
– Raconte !

Fronton du Pelican
Fronton du Pélican © Mattieu Cellard

– En fait, on parle d’hôpitaux, mais à l’origine, ça n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui. Autrefois, les hôpitaux étaient des établissements de charité gérés par l’Église. Ils accueillaient des pèlerins peu fortunés, mais aussi des personnes âgées, des nécessiteux, des mendiants et à l’occasion des malades…
– Ah oui, d’où l’expression « c’est l’hôpital qui se fout de la charité ! », c’était la même chose !
– Exactement. Et Annecy, dès le Moyen-Âge, comptait plusieurs hôpitaux, jusqu’à 7 en même temps ! L’hôpital Notre Dame est le plus ancien. Il remonterait à 1192. A cette époque, la ville ne s’étendait pas jusqu’à l’actuelle place Notre Dame, non : elle était concentrée entre le château fort et le Thiou et des murs d’enceinte l’encerclaient de partout. Si des pèlerins ou étrangers arrivaient la nuit, ils ne pouvaient pas pénétrer à l’intérieur des remparts. D’où cette première maison hospitalière… qui subit plusieurs incendies – dont celui de 1412 qui a presque entièrement ravagé la ville - à chaque fois reconstruite, jusqu’à la version actuelle de cette maison collée à l’Église, qui date de 1498. En 1646, on a retrouvé un inventaire qui précisait que l’hôpital Notre Dame abritait alors des pèlerins, 13 enfants pauvres de moins de 12 ans logés et instruits sur place, et que 2 petites pièces accueillaient l’une des hommes, l’autre des femmes malades.
– Ah oui, on est loin de l’hôpital qu’on imagine…

 

L'hôpital d'Annecy, aux Marquisats, 1900 (dont il ne reste que le bâtiment central à gauche, l'actuel Pélican)
L'hôpital d'Annecy, aux Marquisats, 1900 (dont il ne reste que le bâtiment central à gauche, l'actuel Pélican) © A. Gardet - Archives Municipales d'Annecy

– Parallèlement, à l’autre bout de la ville, toujours à l’extérieur de l’enceinte, des religieux, les chanoines du Saint Sépulcre, ont construit un couvent, une chapelle et un hôpital (sur le site actuel du lycée Gabriel Fauré). Ils y recueillaient pauvres et malades sans le sou. Faute de moyens, les bâtiments du Saint Sépulcre se dégradèrent et au milieu du 17e siècle, ils étaient plus que vétustes, insalubres, voués à un triste sort s’ils n’avaient pas été repris en main par l’Œuvre de la Charité, une institution destinée à recevoir les malades pauvres d’Annecy et quelques orphelins. Plus loin, on trouve aussi l’hôpital morbeux…
– Morbeux comme dans Harry Potter ?
– Non, ça c’est les moldus !! L’hôpital morbeux, c’était pour les pestiférés ! Annecy n’a pas échappé aux terribles épidémies de peste à partir du 15e siècle. Et personne ne voulait de ces malades en ville, tu penses bien ! Les pestiférés ont donc trouvé refuge dans cet hôpital, construit vers 1495, non loin d’ici, à l’extrémité des Marquisats, sous la Puyat. Encore plus près de nous, mon bon Pélican, de l’autre côté de l’avenue, il y a l’hôpital de la Providence, qui a vu le jour en 1707. Une construction épique entre 2 invasions françaises et la remontée des eaux du lac qui a compliqué l’affaire… Il fallut 14 années de travaux !!
– Ça en fait des hôpitaux pour une toute petite ville !
– A qui le dis-tu… C’est sans doute pour cette raison que le 15 janvier 1722, le roi de Sardaigne Victor Amédée II décida que dorénavant, les différents hôpitaux d’une même commune devaient obligatoirement se regrouper en un seul établissement.
– Ah… ici !? C’est là qu’on rentre en piste ?
– Patience, le Pélican ! On y arrive… Comme les locaux de la Providence, en face de nous (de l’autre côté du parking actuel de Balleydier) étaient alors quasi neufs, les émissaires du roi penchaient pour cette solution, tandis que les autorités municipales préféraient l’hôpital du Sépulcre, l’actuel site du lycée Fauré, tu suis ?!
– Jusque-là, oui… et donc, ça se joue à courte paille ?
– Et donc, c’est la foudre qui a eu le dernier mot, en réduisant en cendre la maison de la Providence en 1725. Le match est joué, c’est Sépulcre qui l’emporte. Tout le monde s’efface pour le nouvel Hôpital Général. On pousse les murs…
– Bah et nous ?

Ô Bon Pain ©Matthieu-Cellard
1805, l’hôpital déménage au Grand Séminaire, réquisitionné à la Révolution. Sauf qu’en 1815, la Savoie repart dans l’escarcelle des rois de Sardaigne qui remettent l’Eglise en honneur de sainteté ! Et celle-ci entend bien récupérer son Grand Séminaire. Et c’est là qu’on entre en scène, mon bon Pélican !!
Terrasse O Cèdre
Terrasse Ô Cèdre © Matthieu Cellard

– J’y viens. En 1792, la Savoie est envahie par les troupes révolutionnaires qui réquisitionnent tous les biens de l’église, les hôpitaux en font partie. Ils deviennent « Hospices civils ». En 1802, un industriel lyonnais lorgne sur les locaux du Sépulcre pour y installer sa manufacture de coton. Contre toute attente, les administrateurs de l’hôpital se montrent plutôt ouverts à la discussion, d’autant plus que le secteur est particulièrement malsain. Avec la proximité du Thiou qui reçoit toutes les eaux usées et marécageuses, il se dégage des odeurs nauséabondes et question hygiène, on repassera ! L’affaire est entendue. L’hôpital déménage au Grand Séminaire devenu un bien national à la Révolution (aujourd’hui Conservatoire d’art et d’histoire, en haut de l’avenue de Trésum). Sauf qu’en 1815, la Savoie repart dans l’escarcelle des rois de Sardaigne qui remettent l’Eglise en honneur de sainteté ! Et celle-ci entend bien récupérer le Grand Séminaire. C’est là qu’on entre en scène mon bon Pélican !! Le 17 décembre 1822, la première pierre du chantier du nouvel hôpital est posée, sur le site de l’ancien couvent des Capucins, ici même, sous tes palmes ! Ça te cloue le bec, le Pélican ?
– Eh bein… ta journaliste et ton historien, ils ont sacrément planché leur sujet…

Ô Bon Pain - La canopée
Ô Bon Pain - La canopée © Matthieu Cellard

– Et comme ils avaient un petit creux en ce milieu d’après-midi, ils sont allés savourer une pâtisserie bien méritée confortablement installés dans le lobby, sous la canopée pleine de chants d’oiseaux. Encore un clin d’œil à toi, le Pélican… Mais entre nous, heureusement que ce ne sont pas tes chants qu’on diffuse…
– Ah ah ah ! En attendant, nos pâtisseries, elles sont divines !! C’est Quentin, le chef pâtissier de l’Impérial Palace qui les confectionne là-bas chaque matin, avec Timothée, Fanny et Florian. De vraies œuvres d’art, aussi délicieuses que belles ! Là encore, les producteurs sont locaux : Fraise & Basilic, un primeur de Sevrier pour les fruits, le chocolat vient de chez Valrhona, tout comme la vanille, choisie en gousse et en agriculture biologique. Les noix sont de Grenoble et bien sûr, tout est fait maison. A 7h30 tapantes, les pâtisseries sont prêtes à longer le lac pour nous rejoindre. Je me charge de surveiller la livraison : trop tentant ! Et à vol d’oiseau, je n’en perds pas une miette ! Sitôt arrivées, qu’on passe en coup de vent ou pour quelques heures, ou qu’on pose ses valises à l’hôtel, les papilles sont à la fête !!
– Tu sais que la journaliste et l’historien ont prévu de se revoir la semaine prochaine pour évoquer la suite de l’histoire des lieux…  Ça s’annonce passionnant : ils vont parler de nous !!
– De nous ? Tu me raconteras, hein ?
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Dis donc, Le Cèdre, tu ne serais pas devenu un peu dur de la feuille ?
– Tu veux tâter de mes épines pour voir un peu !?

Le Pélican Vue Lac
Le Pélican Vue Lac © Matthieu Cellard

+ d’infos : hotel-lepelican.fr 
Ô Bon Pain, boulangerie & pâtisserie (sucré et salé), ouvert 7j/7 de 6h30 à 20h,
au sein de l’hôtel le Pélican, 20 rue des Marquisats, Annecy