Martin Fourcade, du biathlon au hors-piste !
Sportif français le plus titré aux JO, 7 globes de cristal, 83 victoires en coupe du monde, Martin Fourcade est entré dans la légende. A 34 ans tout pile, quelques jours après le Nordic Festival qu’il organise chaque année sur le Pâquier, il s’apprête à remonter sur les planches, mais pas celles qu’on pourrait penser…
En route pour l’ascension du Mont-Blanc avec une équipe de scientifiques qui l’a invité à venir mesurer son sommet, on fait un bout de chemin ensemble, à revisiter sa carrière, ses envies, ses regrets et les projets à venir…
Tilt : Avant d’être l’Ogre catalan ou le Patron, vous aviez eu d’autres surnoms ?
Martin Fourcade : Enfant, non, on m’a toujours appelé Martin. Ces surnoms viennent surtout des médias, on ne les entendait pas sur le circuit. Et heureusement !
Quel genre d’enfant étiez-vous ?
Un enfant énergique, plutôt dissipé, moteur en tout, mais à sérieusement canaliser. En tant que sportif de haut niveau, j’ai appris à maitriser cette énergie, parfois un peu trop débordante.
Petit, vous pensiez faire quel métier ?
Au collège, je voulais être prof de sport, ma matière préférée. Après, j’ai voulu être kiné du sport, puis je me suis imaginé journaliste sportif… J’avais le sport comme liant de mes projets d’enfant.
Et dans dix ans ?
Pour tout vous dire, je n’ai plus de fantasmes professionnels, je n’ai plus de rêve de grandeur. Je me laisse guider par les opportunités, sans me projeter. J’ai eu la chance de réaliser mes plus beaux rêves de gosse, j’aspire maintenant à des moments simples en famille, de partir en montagne comme aujourd’hui, de vivre des choses authentiques…
Si mes infos sont bonnes, c’est aujourd’hui votre anniversaire… 34 ans (on est le 14 septembre). C’est la fête ce soir ?
Non, j’ai Mont Blanc ! Déjà que ma femme et mes filles ne m’ont pas vu beaucoup à la maison durant ma carrière, je me débrouille pour partir le jour de mon anniversaire alors que je ne suis plus en compétition, elles vont y voir un signe !
Revenons à votre carrière, quelle est votre plus belle réussite ?
Sans hésiter le titre olympique de 2014, le premier. Ça sera génial d’en gagner 4 autres par la suite, mais celui-là a une saveur particulière : on devient champion olympique. C’était mon objectif de vie.
Et votre plus grand échec ?
C’est encore lié aux JO : de ne jamais avoir gagné le sprint, qui était LA course, de par mon niveau, que j’avais le plus de chance de gagner. 3 éditions douloureuses : à Vancouver une météo qui ne m’est pas favorable, à Sotchi, trop de pression que je n’arrive pas à surmonter et à Pyeong Chang, je gère mal un petit détail lié au vent. Trois rendez-vous ratés. Un regret et beaucoup de tristesse certes, mais surmonter ces périodes de doute ensuite fut formateur.
Vous ne comptez plus les médailles et trophées engrangés… Vous les avez stockés où ?
Ils sont dans une vitrine au siège de mon équipementier Rossignol. Pour 2 raisons : la volonté, au cours de ma carrière, de ne pas me satisfaire de ces titres gagnés, à faire comme si je n’en avais aucun !! A chaque fin de saison, je leur déposais mes trophées, et je repartais à zéro. Et puis, c’est plus sympa d’en faire profiter le public, qui peut ainsi les voir sur place – un globe de cristal, c’est joli à voir, comme une médaille olympique -, que de les garder chez moi. C’est trop mégalo !
Qu’est ce qui peut vous donner autant d’émotion et d’adrénaline, aujourd’hui ?
Je n’en cherche plus des aussi fortes. J’ai eu ma dose ! Et mes plus belles émotions restent celles que m’apportent mes enfants ! Après, d’organiser le Nordic Festival à Annecy, c’est faire aussi le plein d’émotions, le plaisir d’offrir ces compétitions aux amateurs de ski, ou lors des cours des enfants le dimanche, ce sont des émotions dans le partage, moins égoïstes. Et ça me comble largement aussi.
Le seul en scène que vous préparez, c’est une façon de dévoiler les coulisses de votre vie ? (Et oui, je vous avais parlé d’un retour sur les planches, ce seront celles de Bonlieu, début janvier, pour son « spectacle » Hors Piste.)
La genèse du projet, c’est ma fin de carrière. Tout a été parfait, je n’ai rien à changer, sauf que mes 5 dernières courses se sont faites en plein covid, à huis clos ! Je n’ai pas eu de contact humain, ni l’occasion de dire au revoir, pas de jubilé, j’ai eu l’impression de partir comme un voleur. Et ce projet me permet de renouer le contact, de remercier, d’aller pour une fois vers les gens. Plus que l’envie de monter sur scène, c’était de répondre à ce besoin.
Votre devise ?
Ma ligne de conduite : « sois entier dans tout ce que tu fais, donne le meilleur de toi, sans tricher ! »
Votre héros ?
Je n’ai pas de héros, ni fictif, ni réel, pas de modèles, peut-être des personnes inspirantes, comme Tony Estanguet. Il vient, comme moi, d’un sport pas très médiatique, il a réussi à sortir de son anonymat, entretient un rapport étroit avec la nature de par son sport, et je reste admiratif de son parcours. Mais à aucun moment, je ne veux lui ressembler. Ce n’est pas mon schéma.
Depuis 2018, vous présidez la commission des athlètes aux JO 2024 à Paris, vous êtes membre du CIO, succédant justement à Tony Estanguet l’année passée, une sacrée responsabilité ?
Et une chouette opportunité surtout, de contribuer à façonner le mouvement sportif de demain, apporter mon expérience et faire en sorte que les futurs Jeux soient en phase avec les attentes de notre société dans un contexte climatique et social qui est extrêmement complexe. Ce qui implique de gros changements des institutions et l’envie d’être parmi ceux qui arrivent à relever ce défi.
Si vous étiez ministre des sports, quelle serait votre première réforme ?
Pour côtoyer un peu plus ce milieu depuis quelques années, je me rends bien compte que les réformes d’un claquement de doigts, où l’on vient imposer quelque chose, ce ne sont pas toujours les mieux comprises. Mais de mettre plus de sport dans le quotidien des enfants, ça me tient à cœur, comme beaucoup d’autres athlètes d’ailleurs, à l’image de Stéphane Diagana, entre autres.
Au fait, vous êtes originaire d’Occitanie, comment avez-vous atterri à Annecy ?
Par un long voyage ! Je suis parti de chez moi à l’âge de 15 ans pour le Vercors, avant de migrer au Pôle France dans le Jura, puis de retourner dans le Vercors pour conjuguer vie familiale et professionnelles de 2010 à 2020, et à la fin de ma carrière, il me fallait tourner la page. On avait envie de se lancer un nouveau défi, de découvrir un nouvel endroit et Annecy nous attirait beaucoup pour son cadre de vie.
Et quel est votre refuge préféré ici ?
Le Col de la Forclaz. Bon, pour le refuge isolé, on repassera ! On y trouve du monde en général, mais ça reste le lieu que je préfère pour prendre du recul, de la hauteur…
Votre QG à Annecy ?
Pas de bar repère, ça ne correspond pas à mon mode de vie… Mais un pique-nique avec mes 3 jeunes enfants, après l’école, sur les bords du lac, ça oui !
La musique que vous écoutez pour vous donner la patate ?
Ma playlist a peu bougé depuis mes 14 ans ! Mais j’ai quand même sacrément apprécié Broken Back lors de son concert au Nordic Festival sur le Pâquier, une énergie de dingue. Du coup, il squatte désormais dans ma play list !
Le plus beau compliment qu’on vous ait fait ?
Je relativise beaucoup… quand on est médiatique, les compliments de circonstance fusent souvent, on est brossé dans le sens du poil…Ceux qui me touchent viennent généralement des enfants. Au festival, ils m’ont ému, ils me renvoient à mon enfance, quand j’étais à leur place et que je rêvais d’être champion. Sans vouloir créer à tout prix des vocations, si je peux les aider dans leur cheminement, ça a du sens pour moi.
Et côté reproches, on vous en fait parfois ?
A la maison, régulièrement !! J’oublie souvent d’informer mon entourage de mes plans… Petit problème de communication…
Vous êtes à bord d’une machine à remonter le temps, à quelle époque la programmez-vous ?
Je ne remonterais pas trop loin. Aucune envie de me rendre au Moyen-âge pour voir les gens dans la misère et l’insalubrité ou les rois couper des têtes ! Ce n’est pas trop mon délire ! Mais à l’époque de mes parents peut-être, une génération sans doute un peu plus insouciante que la nôtre, qui n’a pas forcément vu venir les enjeux, notamment climatiques, qui nous menacent aujourd’hui. Alors si je peux faire un saut à leur époque et mettre une petite pièce dans la machine, là où ça coince, histoire de gagner quelques années sur ce combat, ça se tente.
Enfin quelle question n’aimez-vous pas qu’on vous pose ?
Aucun tabou ! Mais je dois avouer que les questions sur “pourquoi le biathlon ?”, comme si c’était un choix saugrenu, ça me saoûle ! “Le biathlon, quelle drôle d’idée !”. Bah, non. C’est un sport que j’adore profondément. Donc au final, toutes les questions sur le côté ubuesque de mon sport, qu’on me pose constamment en interview, ça m’énerve !
Ouf, je m’en suis bien sortie alors ?
J’avoue.
Hors Piste, seul en scène de Martin Fourcade
jeudi 11 et vendredi 12 janvier à Bonlieu Scène nationale, Annecy
Réservation : https://bonlieu-annecy.com/2023/06/22/hors-piste/