Incendie devant la caserne de pompiers d'Epagny

Pour les pompiers d’Annecy, ça sent le gaz

Le 6 janvier 2025

L’année 2025 commence mal pour les pompiers d’Annecy, alors que les budgets de la région vont être décidés; de nombreuses coupes budgétaires risquent de mettre la sécurité des pompiers et de la population en péril. Après les incendies à répétition dans le centre-ville et dans l’hôtel de ville (dont on voit encore aujourd’hui les séquelles), doit-on craindre que le prochain incident ait des conséquence encore plus graves ?

 

Nous avons interviewé Pascal*, Sergent-Chef, sapeur-pompier professionnel en Haute-Savoie, pour comprendre les enjeux et les conséquences des réformes en cours sur le terrain. Le tableau qu’il dresse est inquiétant, à la fois pour la santé des pompiers et pour la sécurité de la population qu’ils servent.

*prénom changé par souci de confidentialité

Une réorganisation qui menace la sécurité et la santé des pompiers

Pascal : « Depuis un an, le Schéma Départemental d’Analyse et de Couverture des Risques (SDACR) a été révisé pour mieux adapter les ressources et les moyens de secours aux risques spécifiques de la Haute-Savoie. Ce document stratégique définit les priorités en matière de sécurité civile et de prévention des risques. En parallèle, un nouveau règlement opérationnel a été mis en place, qui vise à rationaliser le nombre d’agents affectés à chaque intervention.

Cependant, cette réorganisation semble mettre en péril la sécurité des sapeurs-pompiers et des citoyens. En 2024, une collaboration avait été entamée entre les sapeurs-pompiers et les décideurs. Mais selon notre interlocuteur, les besoins des pompiers sur le terrain n’ont pas été pris en compte. Les décisions ont été prises sans une véritable consultation des agents, ce qui a conduit à une série de réformes qui posent de nombreux problèmes. »

Caserne de pompiers d'Epagny, incendie pour exprimer le mécontentement des sapeurs-pompiers

Une gestion de plus en plus technocratique

Pascal : « Le nouveau règlement opérationnel a été élaboré à partir d’une étude confiée à une intelligence artificielle, qui a analysé des statistiques comme le nombre d’interventions quotidiennes ou annuelles. Cependant, ces chiffres, bien que basés sur des données objectives, ne tiennent pas compte des aléas de la réalité du terrain. Le nombre d’interventions peut varier d’un jour à l’autre et ne prend pas en compte les circonstances imprévues, rendant cette approche statistique inadaptée à la gestion humaine des secours. »

Annecy Bouge : « Et qu’est-ce que cela va changer pour vous ? »

Pascal : « Parmi les changements notables, la réduction des effectifs dans les casernes est l’un des plus préoccupants. Un véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) part désormais avec seulement deux pompiers, contre trois auparavant. De même, les départs en mission sont de plus en plus mal encadrés. Les pompiers ne sont pas toujours formés pour les missions sur lesquelles ils sont envoyés, ce qui met en danger à la fois leur sécurité et celle des victimes qu’ils secourent.

Un autre point alarmant est le manque de compétences dans les engins. Les véhicules peuvent partir sans chef d’agrès, une figure clé dans la gestion d’une opération de secours. Ainsi, un groupe de pompiers peut se retrouver sur une mission d’incendie sans un chef d’agrès, qui peut arriver d’un autre centre de secours, et avoir un délai d’arrivée différent. Ainsi l’équipe arrivant en premier sur les lieux n’a pas l’expertise nécessaire, augmentant considérablement le risque d’erreur et de défaillance. »

Les pompiers ont mis le feu à quelques palettes en bois devant la caserne d'Epagny pour exprimer leur mécontentement.
Les délais d'intervention peuvent devenir plus longs, avec des conséquences dramatiques en cas d'urgence vitale.

Des conséquences graves sur la sécurité et la santé des agents

Pascal : « La sécurité des pompiers est gravement compromise. Envoyés seuls en intervention avant l’arrivée d’un chef d’agrès ou d’un autre centre de secours, ils se retrouvent dans des situations risquées, sans les compétences et l’encadrement nécessaires pour gérer correctement les urgences. Cela engendre non seulement un épuisement physique et mental, mais également une mise en danger des vies humaines. »

Annecy Bouge :  « Et donc un risque pour la population ? »

Pascal : « En réduisant les effectifs et en allongeant les délais d’intervention, les autorités risquent d’affecter directement la qualité des secours. Les délais d’intervention peuvent devenir plus longs, avec des conséquences dramatiques en cas d’urgence vitale. »

Un climat de mépris et de désillusion

La situation est d’autant plus tendue que les pompiers dénoncent un climat de mépris de la part de la direction. Les agents se sentent ignorés et non entendus dans leurs préoccupations, pourtant légitimes. La direction, selon notre témoin, semble indifférente aux difficultés rencontrées par les équipes sur le terrain. Cette désillusion est renforcée par des mesures comme l’annulation du 13e mois, une perte importante pour les agents.

Un avenir incertain

Les pompiers de Haute-Savoie, comme dans de nombreuses autres régions, se battent contre un système de plus en plus tendu. Les interventions augmentent chaque année, mais les effectifs diminuent et les conditions de travail se détériorent. La crainte pour leur santé et celle de la population est omniprésente. Le système, dans son état actuel, risque de ne plus tenir sur le long terme. Les pompiers, qui ont choisi ce métier par passion, se retrouvent aujourd’hui à remettre en question leur engagement, face à un système qui ne leur permet plus de travailler dans des conditions dignes.

Le message des pompiers est clair : ils ont besoin de soutien, de ressources et de mesures qui prennent réellement en compte les défis du terrain. Pour que la sécurité des agents et celle de la population soit garantie, il est impératif de repenser en profondeur l’organisation des secours en Haute-Savoie.