Interview : Annecy s’écrit avec 2 ou 3D
Organiser le plus important festival d’animation au monde, ça en affiche… Regarder les meilleurs films de la…galaxie, l’espace d’une semaine, c’est top ! Mais voir projeter nos propres images, c’est la classe internationale. Alors que toute la planète s’animera du 9 au 15 juin à Annecy, qu’en est-il de la création made in chez nous ?
Et c’est Mickaël Marin, directeur de Citia (aux manettes du Festival international du film d’animation et « animatrice » de la filière sur le département) qu’on a bombardé de questions…
Tilt : A quand remonte l’animation made in Annecy ?
Mickaël Marin : Si on fête l’animation depuis 1960 sur Annecy, c’est bien la mise en place, en 2006, du Fonds de Soutien à la Production (financé principalement par le Conseil départemental) qui a été le déclencheur. Il a permis l’installation et la création de studios d’animation sur la ville. 2006, c’est aussi la création de Citia. Un très beau millésime, cette année-là ! Ça fera bientôt 20 ans…
Et si on devait faire un arrêt sur image, là, à quoi ressemble cette animation annécienne ?
Elle est bien sûr plus étoffée : 7 studios se sont installés (300 collaborateurs en 2022-23). Le fonds est passé de 300 000 € en 2006 à 700 000 actuellement. Une excellente nouvelle, d’autant que depuis 2015-16, des crédits d’impôts au niveau national ont favorisé un phénomène de relocalisation de la production dans l’hexagone. Avant, l’idée germait en France, partait en production en Asie, pour finir en post prod’ chez nous. La grosse partie du milieu était perdue… Le phénomène de relocalisation a permis de créer de nouveaux studios notamment à Annecy. Après Caribara en 2008, il y a eu InTheBox, Amopix, Tu Nous ZA Pas Vus (TNZPV)… Nous sommes en pourparlers avec d’autres gros studios pour de prochaines installations, c’est encore confidentiel…
Ce fonds dopé, c’est la clé ?
Carrément, grâce à lui, les studios annéciens ont pu créer et se voir confier plus de projets. Ce qui a permis de fixer des équipes, jusque-là constituées surtout d’intermittents, le temps du film. Ça a été un vrai plus pour conserver les talents chez nous. Et ce fonds, à l’origine, ne concernait que les séries d’animation, pour la télé, ce qui était déjà bien. Depuis peu, elle s’est élargie aux courts et longs métrages, plus médiatisés, avec une visibilité accrue sur les festivals du monde entier, permettant de concourir lors de compétitions aussi prestigieuses que les Oscars notamment ! On entre aujourd’hui dans une autre dimension.
À voir le succès de Pachyderme, ça porte déjà ses fruits, visiblement…
Oui, c’était incroyable. J’ai eu la chance cette année d’accompagner à Los Angeles l’équipe de ce court métrage, en partie fabriqué ici par TNZPV, l’un des tout premier qui a bénéficié de ce fonds de soutien élargi, en 2020. Il faut réaliser que Pachyderme est l’un des 2 films français nominés aux Oscars (avec « Anatomie d’une chute »). Même s’ils n’ont pas gagné la statuette, quand on connaît le niveau de compétition pour arriver à la short list des nominés, c’est une méga performance !! Et il y en aura d’autres avec notamment de magnifiques longs métrages en préparation !
Vous suivez de près ces productions annéciennes ?
On les suit, oui et pour certaines, depuis 2021, Citia les accompagne en résidence, aux Papeteries. Demain, ce sera à la Cité internationale du cinéma d’animation (au Haras).
En quoi consistent ces résidences ?
C’est notre spécificité, par rapport aux autres filières, ailleurs en France. On essaie d’être là auprès des équipes depuis le tout début, quand l’idée germe dans la tête de son créateur, et ce, jusqu’à l’accompagner aux Oscars !!! Ça commence par un concours de projets, lors du MIFA. On sélectionne alors 3 réalisateurs de long métrage, pour intégrer la « Résidence Annecy Festival » sur 3 mois. Du vrai sur mesure ! On les met en relations avec les bons mentors, ceux qui les aideront à la réflexion et à la maturation de leurs univers graphiques, primordiales dans le cinéma d’animation. L’objectif, c’est d’élaborer avec eux un squelette précis de l’ensemble des séquences qui constitueront le film, avant le départ en production, une parenthèse idéale pour éviter de se précipiter et de commettre des erreurs qui coûteraient cher par la suite. Lors du MIFA, on leur présente les investisseurs, producteurs et diffuseurs susceptibles de soutenir leurs films. Et à l’issue de ces 3 mois, on continue à les suivre, à mettre en lumière leurs projets jusqu’à la fin de la fabrication et la promotion en festivals. C’est le cas notamment d’un projet indien, premier résident historique ici, dont le film s’annonce très prometteur… Enfin, encore quelques années pour le finaliser – c’est long le processus de fabrication en animation ! – et on pourra le voir sur grand écran.
Les Papeteries, c’est LE lieu totem de l’animation ?
Oui, et c’était la volonté de Citia de créer un tel lieu. Depuis 2015, Les Papeteries – Image Factory, à Cran-Gevrier, permettent d’accueillir une cinquantaine d’entreprises dont le Studio Caribara. Dans quelques semaines, TNZPV nous rejoindra (puis d’autres, mais chut !), mais aussi le campus des Gobelins, avec un bachelor animation dès la rentrée prochaine. A charge, pour Citia, de faire que des liens se tissent : entre studios, mais aussi avec les jeunes talents des Gobelins… On est là pour créer des passerelles qui favoriseront de nouveaux projets et qui créeront de la valeur sur le territoire, justifiant les investissements du fonds de soutien, entre autres, ou permettant de solliciter les collectivités pour d’autres aides si on détectait un secteur émergent porteur… Libres à elles de suivre ou pas nos recommandations. Mais ça fait partie de notre mission, comme tout ce qui contribue au développement et à l’animation de la filière, l’éducation à l’image, la formation, l’organisation du festival et du MIFA…
On parle d’une extension des Papeteries, en face ?
On y travaille avec le Grand Annecy ! Le projet devrait voir le jour en 2028 si tout va bien, 2030 pour voir large…
Et la future Cité internationale de l’animation, comment s’inscrit -elle dans ce paysage ?
Elle est tournée d’abord et avant tout vers les Annéciens, puis les touristes. Ce n’est pas un site économique, ni de formation, c’est un lieu de rencontres, de médiation culturelle qui devrait faire rayonner Annecy et l’animation encore davantage. Son pendant économique, ce sont Les Papeteries et les 2 se complètent parfaitement.
Comment Annecy se situe-t’il par rapport aux autres pôles d’animation en France ?
Indéniablement, on a, avec le Festival, et de très loin, la plus grosse manifestation au monde, mais aussi un écosystème incroyable avec toutes les briques qui la constituent de très haut niveau, un rayonnement de Citia au national et à l’international qui sert cet écosystème. Et demain, la Cité Internationale qui va multiplier cette aura par cent ! Néanmoins, il y a des territoires qui, par leur histoire, ont beaucoup plus de studios que nous ! Sans même évoquer Paris, qui n’est bien évidemment pas comparable, je pense notamment à Angoulème, le 2ème pôle de France.
Très loin devant nous…
Oui. Mais faut dire que la motivation de départ n’était pas la même… Nous, on est parti d’un évènement – le festival créé en 1960 – pour des années plus tard – fin des années 90 début 2000 -, sous l’impulsion de Dominique Puthod, décider de générer de la valeur sur le territoire autour de ce festival et du MIFA. On a dû tout imaginer, partir de zéro, créer des dispositifs de formation, de promotions culturelles auprès du public, d’accompagnements économiques… C’aurait été gâcher que de créer un festival d’une telle ampleur, et une fois l’édition terminée, de ranger nos cartons et d’attendre l’année suivante pour se remettre à l’ouvrage ! Surtout en étant implanté sur place, il y avait mieux à faire. Pour autant, d’autres territoires, sans doute moins gâtés économiquement ou touristiquement que nous, ont misé bien plus tôt et plus fort dans le secteur. Ils ont donc largement plus de studios que les 7 d’Annecy (sur les 120 que compte le pays). C’est le cas d’Angoulème (qui réunit 1/3 des studios français), du Nord avec Roubaix-Lille-Tourcoing, la région de Valence, de Montpellier… Mais notre ambition n’est pas d’aller rattraper ce qui est irrattrapable. L’histoire est différente. Avec les contraintes géographiques et le coût très élevé du foncier ici, ce n’est pas sur le nombre de studios qu’on va se battre ! On s’attelle à compléter le paysage actuel en termes de formations et de studios jusqu’à atteindre une taille critique qu’on stabilisera. C’est la dynamique qui nous intéresse davantage. Et avec cette vision à 360°, du Festival, du Marché, de la future Cité internationale, des studios et de la formation, cette dynamique, ici, est un vrai point fort. Quand tu y ajoutes la qualité de vie, les montagnes, le lac, on est assez sexy au final. Cher, mais sexy ! Et certains grands studios sont sensibles à ces arguments pour attirer des collaborateurs.
Quels sont les films emblématiques made in Annecy pour toi ?
En séries, du côté de Caribara, on a « Tobie Lolness » qui a vraiment cartonné. Du côté de TNZPV, récemment aussi, et sélectionnés aux César 2024, il y a « La Forêt de mademoiselle Tang » réalisé par Denis Do, et « La grande Arche » de Camille Authouart. Bien évidemment « Pachyderme » nominé aux Oscars dont on a parlé. Pour InTheBox, je pense à « Même les souris vont au paradis », un long métrage produit par l’annécien Alexandre Charlet, nominé au César 2022. Et si on fait un pas de côté, en nouveauté très attendue, et c’est rien de le dire, on a « Sauvages », le nouveau film de Claude Barras. 7 ans après « Ma vie de Courgette » (césarisé en 2017, primé à Annecy), le revoilà donc en compétition au Festival d’Annecy, après être passé par Cannes. Pour réaliser Sauvages, Claude Barras a fait appel à Initial, une entreprise de Chavanod spécialisée dans l’impression 3D. C’est elle qui a réalisé les armatures et les visages de ses personnages (des marionnettes). Initial avait déjà collaboré sur Ma Vie de Courgette. On souhaite à Sauvages le même destin…
En dehors de Sauvages, on pourra voir d’autres créations d’ici au Festival, cette année ?
Oui et sur l’écran plein jour du Pâquier : « Le grand voyage de Gouti » (TNZPV), un Spécial TV sous forme de comédie musicale animée, dont les chansons ont été composées et interprétées par Olivia Ruiz. À ne pas manquer !
+ d’infos : Le festival international du film d’animation d’Annecy, c’est du 9 au 15 juin
www.annecyfestival.com