article allan lesueur artiste peintre annecy bouge

Dans la lumière de l’ombre

Le 9 avril 2025

Avoir 33 ans aujourd’hui et affirmer vouloir s’accomplir comme artiste peintre, le challenge a quelque chose de subtilement décalé qui interroge. Ce postulat, Allan Lesueur, ne le défend pas : il y croit juste coeur et âme. Quand Allan nous dit sans sourciller : “mon ambition, c’est de marquer l’histoire de l’art”, on peut y entendre quelque chose de présomptueux et pourtant il n’en est rien. Jacques Brel ne disait-il pas lui-même que le talent, c’est d’abord l’envie ? Et l’envie, Allan en est pétri, celle de bien faire, toujours, dans tout ce qu’il entreprend avec l’exigence et la maîtrise de son art, quel qu’il soit.

Parce que la peinture n’est que l’aboutissement présent de tout un cheminement qui commence très tôt par le dessin. Dès l’âge de 4 ou 5 ans, Allan dessine et ce crayon dans la main sera son arme et son refuge. Un peu en marge, déjà très affirmé, les déboires d’Allan à l’école commencent à la maternelle. Un premier entretien avec la psy pour refus d’obtempérer à la réalisation d’un dessin dont il ne voit pas l’intérêt, de premières altercations avec les autres qui ne parlent pas tout à fait le même langage. Et déjà un amour fulgurant pour l’art insufflé par ses parents, Dali en particulier qui le percute de plein fouet. Un parcours scolaire annécien chaotique, des relations sociales complexes, harcèlement et médisances à la clé – “j’ai appris à faire le caméléon, à emprunter le style de mes détracteurs pour me fondre” -, conduisent Allan à naviguer dans un monde qu’il scrute, qu’il décortique, insatiable observateur. Et toujours le dessin pour exprimer ce qui ne se dit pas. Pour s’évader. Des heures à crayonner, à main levée, des natures mortes, des portraits, des séries d’objets dans un temps imparti, exercice de style… Puis quelques reproductions de Dali, Degas, Serre, toutes inspirations mêlées.

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Talent tentaculaire

Sorti des affres du collège et de l’adolescence, qui auront laissé des traces et posé quelques couches bien épaisses sur la carapace de celui qui dit avoir été « noirci par les gens » – il en gardera une certaine forme d’intransigeance -, une nouvelle scène s’ouvre à Faverges. Allan se lance dans un CAP de graphiste. Au départ pas plus emballé que ça par la PAO et le dessin vectoriel, Photoshop lui ouvre néanmoins quelques horizons. Bourré de contradictions, il a besoin du cadre qu’on lui impose et en même temps, il s’en échappe à la moindre occasion. Difficile à canaliser, il aurait voulu continuer après son CAP, mais il ne rentre plus dans les cases. A 18 ans, il ne sait pas quoi faire, passe son BAFA, obtient un job d’animateur qui lui laisse ses après-midis libres pour dessiner, encore.

Puis, à force de conviction, il rencontre Cyril Marie de l’Agence Future, à Annecy et travaille sur des photo-montages à vocation publicitaire pendant quelques années. Il fait ensuite des retouches pour un photographe et se met à son tour à la photo. Entre 2012 et 2020, le compositing, dont le principe est de fusionner plusieurs sources d’images pour créer un plan unique, sera sa signature et sa spécialité. Tout en nourrissant toujours un travail artistique personnel en parallèle. Le travail de composition et celui sur la lumière commencent à s’inscrire comme des marqueurs identitaires. La phase COVID se fait source d’introspection profonde. Là encore, le dessin revient comme une échappatoire salvatrice. “Moi qui avais délaissé les crayons, à nouveau j’ai eu envie de dessiner de manière insatiable et de mobiliser tous mes sens autour de mes projets”. Le regard se pose alors sur tout son travail de compositing, mais aussi sur les objets anciens – poupées, armes, livres, outils, clés… – qu’il collectionne.

Il aime les histoires que chacun d’entre eux véhicule, vestiges d’un temps oublié. C’est à la suite d’un voyage en Italie et d’une révélation presque mystique que tout finit par s’imbriquer : “nous sommes allés voir, avec ma copine, une exposition du Caravage et c’est comme si un tableau m’avait appelé, comme si on m’avait envoyéun message”. Allan n’a jamais touché un pinceau, malgré un papa peintre et sa culture artistique.

Alors il bûche, se constitue une bibliothèque de référence et se met à reproduire à la peinture ses propres compos photos.

 

Alchimie des contraires

Chaque tableau raconte une histoire dont le prologue commence par une mise en scène réelle. Pour ce faire, il rapporte des kilos de sable et des bouts de forêt dans son salon, il dispose les objets un à un, les éclaire tour à tour, les photographie sous plusieurs angles, puis fusionne les clichés jusqu’à créer l’image parfaite. Qu’il rétroprojette sur la toile, pour élaborer son croquis, et commencer à poser la matière en monochrome avant de passer aux couleurs, puis de changer les ombres, d’ajuster les lumières, de recouvrir parfois, de rajouter des couches par petites touches, fines, précises… Que disje ? Chirurgicales ! Un travail d’orfèvre. Et un univers protéiforme : le surréalisme de Dali et le classicisme baroque de Georges de La Tour, le clair-obscur du Caravage et la touche de Rembrandt, il repousse les curseurs de la théâtralité… Et le résultat est fulgurant. Le regard transperçant d’un clown triste, la carapace rugueuse d’une écrevisse, la peau écaillée luisante d’un poisson agonisant, le diable est dans les détails et l’on pourrait passer des heures àdécortiquer le monde d’un peintreenfin révélé. Quel drame renfermece berceau vide au bleu abyssal ? Quelles histoires se sont échappéesde ce poupon scalpé etquelles sont les tempêtes traverséespar ce navire ? Le clown est-ilaussi triste que son regard le laisseentrevoir ?

Ce qui est sûr, au-delà de laprouesse technique évidente, c’estque le travail d’Allan a une âme,certes un peu torturée, révélantune indiscutable forme de noirceur,“je me complais assez biendans mon ombre”, mais aussi beaucoupd’amour. Pour l’art, pour sesmentors, pour le travail bien fait.

Dans son atelier – une petite pièce réservée de son appartement -, Allan accumule mille sources d’inspirations à travers ses objets chinés et ses livres reliés, mais il organise aussi méticuleusement son petit monde. Un carnet griffonné sur lequel il note la composition de chacune de ses couleurs, des bocaux remplis de pinceaux de toutes tailles, des palettes de récup’ où il élabore ses précieux mélanges comme des nectars distillés et une odeur enivrante d’encens… Son cabinet de curiosités est le reflet de son imaginaire, débordant tout en étant scrupuleusement organisé.

Magie des contraires. Premier acte, tout est prêt pour dévoiler son travail au public. Et déjà, dans ses tablettes et dans sa tête, les actes 2 & 3 prennent forme. A 33 ans, âge christique, costume, cravate et chapeau, Allan Lesueur écrit les premières lignes d’une carrière picturale qui se met en scène comme une pièce. Les trois coups de bâton ont été frappés, levé de rideau et lueurs allumées.

Il n’y a plus qu’à se délecter.